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mes faibles yeux pour te voir, j’attendais ton retour. Ah ! quand tu partais, tu voguais, tu ramais avec une vigueur qui défiait les jeunes et les vieux. Jamais tu ne revenais de la mer les mains vides, et ton kaiak rapportait toujours sa charge d’eiders ou de phoques. Ta mère allumait le feu, pressait la chaudière, et faisait bouillir la pêche de tes mains. Ta mère étalait ton butin à tous les conviés du voisinage, et j’en prenais aussi ma portion. Tu voyais de loin le pavillon d’écarlate de la chaloupe, et tu criais de joie, Voilà le marchand qui vient. Tu sautais aussitôt à son bord, et ta main s’emparait du gouvernail de sa chaloupe. Tu montrais ta pêche, et ta mère en séparait la graisse. Tu recevais des chemises de lin et des lames de fer pour le prix du fruit de tes harpons et de tes flèches. Mais à présent, hélas ! tout est perdu. Ah ! quand je pense à toi, mes entrailles s’émeuvent au-dedans de moi. Oh ! si je pouvais pleurer comme les autres, du moins je soulagerais ma peine. Eh ! qu’ai-je à souhaiter désormais en ce monde ? La mort est ce qu’il y a de plus désirable pour moi. Mais si je mourais, qui prendrait soin de ma femme et de nos autres enfans ? Je vivrai donc encore un peu de temps, mais privé de tout ce qui réjouit et console l’homme sur la terre. »


CHAPITRE IV.

Annales, ou histoire civile du Groënland.

Que peut-on savoir de l’histoire d’un pays où l’on ne trouve aucune tradition, soit orale, soit écrite, ni le moindre monument qui nous atteste les événemens qui s’y sont passés ? Quand