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livre, s’imaginant qu’il y avait du sortilége à peindre les pensées et les paroles de quelqu’un avec des caractères noirs sur du papier blanc. Quand un ministre luthérien leur lisait les Commandemens de Dieu, ils croyaient sérieusement qu’il devait y avoir une voix hors du livre qui les lui soufflait. Mais aujourd’hui ils se chargent volontiers des lettres qu’on leur donne pour les colonies danoises, parce qu’ils sont bien payés de leurs peines : il y a même de l’honneur, à leur avis, à porter ainsi la voix d’un homme à plusieurs lieues de distance. Quelques-uns d’entre eux ont poussé l’art d’écrire jusqu’à envoyer leurs demandes et leurs promesses aux facteurs étrangers tracées avec du charbon sur une pièce de cuir ou de parchemin, marquant la quantité de marchandises qu’ils veulent, celles qu’ils rendront en échange, et le nombre des jours qui doivent s’écouler jusqu’au paiement, par autant de barres ou de lignes. Mais ce qui les étonne, c’est que les Européens, qui sont si savans, ne puissent pas entendre les hiéroglyphes du Groënland aussi aisément que les caractères bien plus difficiles de notre écriture.

Leur chronologie est si peu de chose, qu’ils ne savent pas même leur âge. Ils comptent les années par hivers, et les jours par nuits, parce qu’en effet la nuit embrasse les deux tiers de leur vie. Quand ils ont dit qu’une personne à vécu vingt hivers, ils sont au bout de leur calcul. Cependant depuis un certain temps ils se