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individus et les sociétés, dans l’enfance du langage, ne singularisent pas tous les objets divers par des mots différens, ou ne confondent pas dans un même mot tous les êtres qui se ressemblent, on ne peut conclure ni qu’une langue sauvage soit riche quand elle a beaucoup de mots pour exprimer peu de choses, ni qu’elle soit énergique et concise parce qu’elle exprime beaucoup de choses avec très-peu de mots.

L’usage de joindre plusieurs mots ensemble, ou d’en composer un de plusieurs, cet usage qui quelquefois enrichit les langues savantes, et donne en certains cas plus d’expression au discours, peut ne faire qu’un embarras dans une langue naissante et sauvage, en compliquant les idées qu’il faudrait avoir séparées avant de les rejoindre ; car ces combinaisons de mots qu’un peuple grossier a faites par hasard et par ignorance pour composer une langue quelconque ne doivent pas ressembler à cet esprit d’analyse et d’harmonie qui guide les peuples éloquens et les oreilles de délicates dans l’embellissement et la perfection d’une langue déjà formée. La preuve en est que le langage des Groënlandais devient si difficile à prononcer par la multiplication des polysyllabes, que les étrangers passent bien des années avant de l’entendre, et ne peuvent jamais parvenir à le parler couramment. Il est vrai qu’ils n’ont peut-être pas les organes assez durs, ni cette voix de fer que la nature a donnée à des hommes nés entre les rochers et les glaces. Cependant, par