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unie comme la glace, tourne avec une incroyable vitesse. Alors l’esprit familier prend le prophète par la main, et glisse avec lui le long d’une corde suspendue dans l’abîme ; c’est ainsi qu’ils passent au milieu des phoques dans le palais de la furie. Dès qu’elle voit ces intrus, elle s’agite, écume et frémit de colère ; elle met le feu aux ailes de quelques eiders. L’odeur de la fumée suffoque l’angekok et son guide, qui se rend prisonnier de la divinité. Mais bientôt ces héros la saisissent avant qu’elle ait vomi tous les poisons de sa rage, la tiennent par les cheveux, et lui arrachent tous les caractères magiques dont le pouvoir caché retenait les habitans de la mer au fond de ses abîmes. Dès que ce charme est rompu, les captifs remontent à la surface de l’Océan, et le champion retourne sans peine et sans danger vers la flotte des pêcheurs qui l’avaient député.

Les Groënlandais n’aiment point l’esprit femelle, parce qu’il leur fait plutôt du mal que du bien ; ils ne le craignent point, parce qu’ils ne le croient pas assez méchant pour se faire un plaisir de tourmenter les hommes : mais, disent-ils, il se plaît à garder la solitude dans son palais de délices, et l’environne de dangers pour empêcher qu’on ne vienne l’y troubler. Cet esprit femelle n’est qu’un esprit mélancolique qui fuit les hommes, au lieu que l’esprit méchant les poursuit. Le bon principe ne les défend pas toujours : cependant les Groënlandais aiment le leur ; et quand les Européens leur