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la constance au travail : c’est la première vertu des Groënlandais ; il faut s’être signalé par des exploits à la pêche, avoir dompté les baleines et les monstres marins, avoir souffert de grands maux, avoir péri dans la mer (car c’est le champ d’honneur), ou en travail d’enfans. Les âmes n’abordent pas en dansant à cet Élysée, mais doivent y glisser pendant cinq jours le long d’un rocher escarpé, tout hérissé de pointes et couvert de sang. On doute si cette opinion n’est pas restée aux Groënlandais de quelque idée du purgatoire que les Européens y apportèrent il y a neuf ou dix siècles. Les âmes qui doivent acheter l’Élysée par un si rude voyage dans le cœur de l’hiver, portées sur les ailes de la tempête qui les précipite, courent le risque d’éprouver en route une seconde mort qui serait suivie de l’anéantissement : c’est ce que les Groënlandais craignent le plus. Aussi la commisération pour ces âmes souffrantes fait que les parens d’un mort sont pendant cinq jours obligés de s’abstenir de certains alimens (sans doute par une espèce de jeûne), et de tout travail bruyant, si ce n’est celui qu’exige absolument la pêche, de peur de troubler, de fatiguer ou même de faire périr l’âme qui est en route pour l’Élysée.

D’autres placent leur paradis dans les cieux, au-dessus des nuages. Il est si facile à l’âme de voler aux astres, que, dès le premier soir de son voyage, elle arrive à la lune, où elle danse et joue aux boules avec les autres âmes ; car