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idée leur vient sans doute de ce qu’ils pensent à leur pays natal quand ils en sont éloignés ; car alors, selon eux, leur âme doit être aux lieux dont elle s’occupe, et le corps dans ceux qu’il habite. D’autres matérialistes donnent à l’homme deux âmes : c’est l’ombre et le souffle de chaque individu. Pendant la nuit l’âme s’envole du corps, et va chasser, danser et se réjouir. Ils regardent donc les songes comme une absence de l’âme fugitive qui va où il lui plaît, soit durant le sommeil, ou durant les maladies. Cette opinion est entretenue par les devins ou enchanteurs, qui s’attribuent le pouvoir de rappeler une âme que la fièvre ou la folie tient absente de son corps, et de changer l’âme d’un homme malade avec celle d’un lièvre, d’un renne, d’un oiseau, d’un enfant. C’est ainsi qu’ils réparent les pertes ou les maladies des âmes, par des échanges ou par la transmigration ; car les Groënlandais ont aussi le dogme de la métempsycose. Que cette opinion soit ancienne ou nouvelle chez eux, on a remarqué qu’elle était utile aux malheureux. Les pauvres veuves s’en servent pour attirer des secours à leurs enfans abandonnés. Quand un père a perdu son fils, une veuve lui persuadera que l’âme de ce fils vient de passer à l’un de ses enfans, qu’elle a eu sans doute après la mort de celui qu’il s’agit de remplacer ; et dès lors le père affligé se fait un devoir d’adopter cet étranger, et prend dans sa maison l’enfant et la mère dont il se croit parent par la transmi-