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d’exemple, ou parce que le respect humain les retient : mais il est toujours honteux pour nous, ajoute ce pieux moraliste, de voir que les hommes sauvages obéissent mieux à la lumière incertaine d’une raison à peine ébauchée, et se conduisent plus sagement que des chrétiens éclairés du flambeau de l’Évangile. La nature leur suffit pour avoir des vertus dignes de l’homme, et pour fuir certains vices scandaleux et déshonorans. » Mais, disons mieux, c’est la nature elle-même qui fait leurs vertus et leurs vices par le genre de vie laborieux et misérable où elle les a condamnés ; ou du moins leurs vices et leurs vertus ne sont guère de leur choix, faute d’objets sur lesquels ils puissent exercer leurs passions et leur liberté.

Un peuple ignorant, et qui ne pense point, libre dans toutes ses actions et ses opinions, doit croire toutes sortes d’erreurs en fait de religion, ou ne rien croire. Tels sont les Groënlandais, qui n’ont ni dogme ni culte d’aucune espèce. Des voyageurs ignorans ont imaginé qu’ils adoraient le soleil, et faisaient des sacrifices au diable. Mais cette méprise vient de ce qu’ils les voyaient dès le matin observer le soleil et l’horizon sur des hauteurs pour juger du temps, et de ce qu’on a pris pour des traces d’autels et de sacrifices des places carrées, couvertes de pierres, de restes de charbon et d’ossemens, tandis que ce n’était que l’emplacement des tentes où ce peuple campe l’été pour y dormir et faire sa cuisine. Loin d’avoir