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choses qui paraissent incompatibles en elles-mêmes et contradictoires à ses propres récits. Si les Groënlandais, dit-il, voient en mer un kaiak rouler dans les flots avec le pilote qui s’y attache et se débat contre la mort, à moins que cet homme ne soit de leur famille ou de leur petite flotte, ils le laisseront noyer plutôt que de se déranger de leur pêche pour le secourir. Si dans la pêche même les femmes ou les enfans les troublaient de leurs cris, ils les jetteraient dans la mer. Mais quand ils vont en compagnie, alors il règne entre eux un commerce de travaux, de besoins et d’utilités réciproque, qui va jusqu’à la commisération mutuelle. Les enfans, dit-il encore, n’ont pas de pitié pour les oiseaux, ni les hommes pour les femmes ; et toute espèce douce et tendre n’a point de droits ni d’empire sur ces cœurs endurcis et glacés par les horreurs de la nature.

D’un autre côté, le même missionnaire nous assure que l’amour entre les parens et les enfans est plus fort chez ce peuple que parmi les autres nations. Une mère ne peut perdre son fils de vue ; et s’il se noie, elle se noie. Mais, pour rabattre de cet éloge, on dit qu’il n’y a rien dans cette affection que les animaux n’égalent ou ne surpassent ; d’où l’on conclut que les Groënlandais sont entraînés par cet instinct et ce sentiment que la nature a rendus communs à l’homme ainsi qu’aux bêtes, et qu’ils ne se conduisent guère par les lumières réfléchies de la raison. Ce sont des êtres inconsi-