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ment ; mais il est moins odieux en lui-même, et l’utilité que la cour et le monde croient en retirer permet à peu de gens de s’abstenir d’un vice dont on a fait une vertu de société et un art de gouvernement. On se sert du mensonge comme de l’épée ; les grands et les méchans emploient l’un et l’autre à s’élever et à s’avancer aux dépens d’autrui ; les gens modérés et prudens à se défendre contre les forts et les ambitieux : mais les hommes éclairés et vertueux devraient renoncer à ces deux armes de l’injustice ou de la faiblesse.

Les Groënlandais ont pour maxime de sauver les apparences et d’éviter le scandale. C’est beaucoup pour une nation qui n’est pas civilisée. Crantz, en bon missionnaire, leur reproche cette morale des sages du monde, et finit les éloges qu’il fait de ce peuple sans culture et sans culte en ne lui donnant pour vertus que l’exemption des vices. Tout est, dit-il, dicté chez eux par un amour-propre naturel à l’homme : s’ils exercent l’hospitalité, c’est pour la retrouver chez les autres : s’ils prennent une fille orpheline, c’est pour en faire une servante ; ils n’ont guère de compassion pour un homme qui meurt de froid et de faim : sans doute trop malheureux eux-mêmes pour verser sur autrui cette pitié qui est la surabondance des sentimens et des secours qu’on se doit à soi-même ; mais surabondance inconnue dans un état de nature pauvre, où l’individu peut à peine suffire au soin de sa conservation. Crantz rapporte ici des