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pres tyrans ou des peuples voisins. En un mot, les Groënlandais n’ont point de maîtres et n’en ont guère à craindre, trop maltraités sans doute par la nature pour que personne soit tenté de les arracher à ce joug, et de leur en imposer un plus dur, sous prétexte d’adoucir leur vie.

Il est certain qu’ils vivent dans la plus étroite pauvreté, si ce mot ne convient pas plutôt à la classe des malheureux qui manquent du nécessaire dans les états riches et policés, qu’à un peuple entier, dont tous les individus jouissent également et sans distinction des biens communs qui satisfont aux besoins pressans de la vie. Rien ne leur apprend ou ne leur rappelle leur indigence, pas même la faim qu’ils éprouvent, parce qu’on s’accoutume à trouver juste ou nécessaire tout ce qui vient de la nature. L’indépendance et la sécurité réciproque font toute la félicité des Groënlandais ; ils n’en connaissent et n’en imaginent pas d’autres sur la terre. À l’abri de la violence particulière ou de l’oppression publique, de la chicane, et surtout de la guerre, qui renferme elle seule tous les maux de la nature réunis à ceux de la société, ils dorment, dit Crantz, aussi tranquillement sous leurs tentes portatives qu’un roi dans son palais fortifié. Mais comme ce sont des couleurs locales et des traits bruts et grossiers que l’on demande dans l’histoire physique des peuples sauvages, on glissera sur les portraits étudiés que nous en font les voyageurs