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notre égard que ce qu’étaient pour les Grecs et les Romains les nations qu’ils appelaient barbares, quoique souvent il y en eût de ce nombre dont les mœurs et les coutumes valaient peut-être, du moins pour le bonheur, les lois grecques et romaines ; car les mœurs sont les alimens de la société, dont la plupart des lois ne sont que les remèdes. Les navigateurs ont toujours nommé sauvages les peuples qui, n’ayant point une demeure fixe, errent dispersés dans les bois, mais en troupes, comme certaines espèces d’animaux. Ainsi l’on a donne le nom de païens aux idolâtres qui avaient des temples, non dans les cités, mais dans les villages. Les Groënlandais, dit Crantz, loin d’être un peuple féroce, barbare, intraitable, sont plutôt doux, paisibles, d’un naturel accommodant, et très-propres à tous les arts civils qui ne demandent qu’un corps robuste et de la patience. Ils vivent dans l’état de nature, ou du moins ils jouissent de la liberté qui en résulte : ils ne sont point en communauté, mais en société ; réunis par la rigueur du climat qui les rapproche et les rassemble, sans être liés par les conventions qui naissent de la propriété des terres, ils doivent à la stérilité même d’un pays qu’ils parcourent plutôt qu’ils ne l’habitent, la singularité de vivre, depuis plus de mille ans peut-être, en peuplade libre et volontaire, sans avoir eu besoin de ces constitutions qu’Athènes et Sparte durent imaginer pour secouer le joug de leurs pro-