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monstre nage vers le kaiak pour le renverser, et le bras droit de tourner, de pirouetter, enfin de surnager ; il se relève et se secoue ; il prend une lance, et frappe à coups redoublés dans le corps du monstre. C’est un plaisir de voir le Groënlandais mettre ainsi ses deux mains aux prises l’une contre l’autre ; de sorte qu’elles s’attaquent, se repoussent se terrassent tour à tour, jusqu’à ce que la victoire se décide enfin pour la droite : mais rien n’est si curieux que d’observer l’attention des enfans à ce récit, qui les agite perpétuellement des transes de la crainte, ou des transports d’une joie béante, et retrace alternativement dans leurs yeux et sur leur visage tous les mouvemens de l’orateur, aussi lourd et pesant que la baleine ou le monstre dont il peint les combats et la défaite.

Quand un étranger parle aux Groënlandais des productions ou des usages de l’Europe, il doit prendre leur langage, c’est-à-dire leur expliquer des choses qui leur sont inconnues en les comparant avec des objets qui leur sont familiers, les similitudes étant, pour ainsi dire, dans le commerce des idées ce que sont les mesures et les poids dans le commerce des denrées. S’il s’agit d’une ville fort peuplée, on exprime aux Groënlandais le nombre de ses habitans en leur disant combien il faudrait de baleines pour nourrir tous les gens de la ville un seul jour. « Mais comme ils n’ont pas de baleines (c’est l’Européen qui parle), il faut