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Tous ces détails paraîtront puérils, aux lecteurs d’un certain rang ; mais le gentilhomme Montaigne n’aurait pas dédaigné de les recueillir. Cependant ce philosophe, dès qu’il aurait vu sur la carte la latitude et la situation du Groënland, avec la perspective des montagnes et des eaux qui courent ce pays glacial, aurait d’abord su, sans le lire, qu’il doit être aride, point cultivé, peu habité ; que les hommes y sont endurcis et froids comme la terre ; que, ne vivant que de poissons huileux qu’ils pèchent, écorchent et préparent eux-mêmes, ils ne peuvent qu’être sales et dégoûtans ; qu’ayant peu de matériaux de bois et d’instrumens de fer, faute de mines et de forêts, ils sont mal logés, très à l’étroit, toujours ensemble et pacifiques ; qu’étant occupés la moitié de l’année, soit pour la chasse ou la pêche, à disputer leur vie avec les tempêtes de l’Océan, les montagnes de flots glacés et les monstres marins, ils n’ont pas le loisir de perfectionner les arts de première nécessité, ni d’en inventer de luxe et d’agrément ; que, par conséquent, leur vie est misérable, leur caractère triste et sérieux, taciturne, et que toute leur société doit se ressentir de ces ténèbres humides et de cet horizon sombre qui laissent à peine au soleil quelques mois de règne dans la longue nuit dont les Groënlandais sont enveloppés. Quoique ce philosophe eût prévu tous ces résultats, il en aurait lu volontiers la preuve et le développement dans les