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bouts ; il la prend des deux mains, et fend l’eau à droite et à gauche avec un mouvement aussi régulier que s’il battait la mesure. C’est un plaisir de voir un Groënlandais avec son habit de pêche, de couleur grise, garni de boutons blancs, voguer sur un frêle esquif à la merci des flots et des tempêtes que brave son courage, et fendre les ondes avec une légèreté à faire vingt-quatre lieues par jour, quand il s’agit de porter quelques lettres d’une colonie à l’autre. Tant que la fureur des vents permet à un navire européen de tenir une voile dehors, le Groënlandais, loin de redouter les grandes lames, les affronte et vole comme un trait sur leur cime roulante. Quand même les vagues viendraient fondre, et se briser sur lui, il n’en reste pas moins immobile à sa place. Si les flots l’attaquent de front, prêts à le submerger, il ramasse ses forces, et lutte avec sa rame contre toute leur impétuosité. Tant qu’il a son aviron à la main, fût-il renversé la tête sous l’eau, d’un coup de rame il remonte et se relève tout droit. Mais s’il perd cette arme, c’en est fait de sa vie, à moins qu’une main secourable ne vienne le sauver. Il n’y a point d’Européen qui osât se hasarder sur un kaiak au moindre souffle de vent. Aussi ne peut-on qu’admirer avec une sorte de frayeur l’audace et la dextérité de ces intrépides Groënlandais qui domptent la mer et ses monstres. Mais comme ils ne sauraient arriver à ce degré de courage et d’habileté que par des épreuves constantes et réitérées, on ne