Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 20.djvu/240

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une pièce de bois, ou un quartier de pierre, qui pèseront le double de ce qu’un Européen pourrait soulever.

Le caractère de la nation groënlandaise n’a rien d’assez tranchant ni d’assez marqué pour être bien défini. La disposition flegmatique et tranquille de leur humeur les porte à une sorte de mélancolie ou de morne stupidité ; l’abondance du sang rend leur colère furieuse quand elle est provoquée par de rudes assauts ; mais il en faut de très-violens pour agiter et remuer des âmes qui ne sont ni vives ni fort sensibles. Ils n’ont ni de la gaieté jusqu’à la joie, ni de la joie jusqu’à la folie ; ils sont au reste d’une humeur assez paisible pour une société sûre. Contens du présent, ils ne se souviennent guère du passé, ni ne s’inquiètent de l’avenir ; aussi donnent-ils plus volontiers qu’ils n’amassent. Assez ignorans et grossiers pour s’estimer beaucoup, ils mettent tout leur esprit à se moquer des Européens : cependant ils conviennent que ces étrangers ont plus d’intelligence qu’eux ; mais ils ne jugent pas que cet avantage soit d’un grand prix. Y a-t-il rien de meilleur que la chasse du phoque ? et quand on a ce qu’il faut pour vivre, à quoi sert le reste ? C’est là toute la logique de ce peuple simple sans bêtise, et sensé sans raisonnement. Il se croit, avec ce peu d’idées, mieux policé que les étrangers, parce qu’il les voit tomber dans des excès qui lui sont inconnus. S’il s’en trouve un seul qui soit d’un caractère doux et modéré, c’est dom-