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forme insensiblement. Quand les fondemens et la base en sont ainsi minés par la chaleur même de la terre qui respire au printemps, la glace alors, croulant sous son fardeau, se brise, se détache et roule de roc en roc avec un fracas épouvantable ; et lorsqu’elle pend sur des précipices et qu’elle tombe dans une baie où elle se rompt en grosses pièces, on entend comme un bruit de tonnerre, et l’on éprouve sur la mer une agitation si forte, que les petits bateaux qui se trouvent par hasard au voisinage des côtes en sont quelquefois submergés avec les Groënlandais qui venaient y pêcher.

Les crevasses qu’on découvre dans ces montagnes de glacé viennent de ce que l’eau de neige dégelée au-dessous, se gelant de nouveau pendant la nuit, enferme dans son sein une grande quantité d’air. Cet air emprisonné cherche à se délivrer par sa propre élasticité, et à briser, ou du moins à étendre les limites de son enceinte ; et comme l’air et l’eau qui sont glacés par la gelée dans une bouteille, en se raréfiant, font éclater en pièces le vase où ils étaient contenus, de même on voit se fendre et se briser avec fracas ces montagnes de glace où l’air avait été surpris et comme investi par le froid. Cette éruption de l’air est même accompagnée d’un bruit très-effrayant et d’une secousse si violente, que les personnes qui se trouvent auprès sont obligées de s’asseoir par terre de