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ils ne présentaient que la proue chargée de fusiliers, qui, tirant dans les sabords, déconcertaient tous les canonniers. Lorsqu’une fois ils avaient attaché le grapin, il n’y avait qu’un bonheur extrême qui pût sauver le plus grand vaisseau. Les Espagnols, qui les regardaient comme autant de démons, et qui ne les nommaient pas autrement, sentaient leur courage glacé lorsqu’ils les voyaient de près, et prenaient ordinairement le parti de se rendre en demandant quartier ; ils l’obtenaient, si la prise était considérable ; mais si leur avidité n’était pas satisfaite, le dépit leur faisait jeter les vaincus dans les flots. Ils conduisaient leurs prises à la Tortue ou dans quelque port de la Jamaïque. Avant le partage, chacun levait la main, et protestait qu’il avait porté à la masse tout ce qu’il avait pillé. Si quelqu’un était convaincu de faux serment, on ne manquait point de le descendre à la première occasion dans quelque île déserte, où il était dégradé et abandonné à son triste sort. Ceux qui prenaient commission du gouverneur de la Tortue lui donnaient fidèlement le dixième de leurs prises. Si la France et l’Espagne étaient en paix, ils allaient partager leur proie dans quelque endroit éloigné du fort ; et le gouverneur, dont non-seulement les ordres n’étaient pas d’un grand poids, mais qui n’était point en état de les faire respecter, se laissait fermer les yeux par un présent. Après la distribution des lots, on ne pensait qu’à se réjouir, et les plaisirs ne finis-