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habitans refusèrent des vivres, le besoin se fit sentir, sans que l’on songeât à y remédier. On ne pensa qu’à la fuite. Ces mêmes colons, qui n’avaient pas le courage si facile d’être cultivateurs pour avoir du pain, eurent l’étonnante industrie de bâtir un vaisseau pour retourner en Europe, et devinrent charpentiers et forgerons sans avoir manié d’outils de leur vie, et sans aucun des secours qu’exigeait une pareille construction. La mousse et cette espèce de filasse qui croît sur les arbres de la Floride servirent d’étoupes pour calfater le bâtiment. Les chemises et les draps de lit servirent à faire des voiles ; on fit des cordages de l’écorce des arbres ; enfin le navire fut achevé et lancé à l’eau. L’embarquement ne fut pas différé d’un seul jour ; et la même confiance qui avait fait entreprendre la construction d’un vaisseau sans matériaux et sans ouvriers, fit affronter tous les périls de la mer avec des soldats pour matelots. Ce qu’il y eut de plus étrange, c’est que la disette, le seul mal réel qu’on voulait éviter, fut celui contre lequel on ne prit point de précautions. Les aventuriers n’étaient pas bien loin en mer lorsqu’ils furent arrêtés par un calme opiniâtre, qui leur fit consommer le peu de provisions qu’ils avaient embarqué. La portion fut bientôt réduite à douze ou quinze grains de maïs par jour. Cette triste égalité n’ayant pu même durer long-temps, on se jeta d’abord sur les souliers, et tout ce qu’il y avait de cuir dans