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nègres qui demandassent l’aumône, et qu’ils avaient trop de cœur pour cela. Sa grande joie, comme celle des autres noirs de la même maison, était de venir m’avertir qu’il y avait quelque pauvre Français qui demandait la charité : cela est rare dans la colonie ; mais il arrive quelquefois qu’un matelot, après avoir déserté, tombe malade, et qu’à la sortie de l’hôpital la force lui manque encore pour travailler. Dès qu’il en paraissait un, il y avait autant de gens pour me l’annoncer qu’il y avait de domestiques dans la maison, et surtout le petit nègre, qui ne manquait point de me venir dire d’un air content et empressé : « Mon père, il y a à la porte un pauvre blanc qui demande l’aumône. » Je feignais quelquefois de ne pas entendre, ou de ne vouloir rien donner, pour avoir le plaisir de le faire répéter. « Mais, mon père, reprenait-il, c’est un pauvre blanc ; si vous ne lui voulez rien donner, je vais lui donner quelque chose du mien, moi qui suis un pauvre nègre : Dieu merci, on ne voit point de nègre qui demande l’aumône. » Quand je lui avais donné ce que je voulais envoyer au pauvre, il ne manquait pas de lui dire en le lui présentant, « Tenez, pauvre blanc, voilà ce que mon maître vous envoie ; » et lorsqu’il croyait que je le pouvais entendre, il le rappelait pour lui donner quelque chose du sien, afin d’avoir le plaisir de l’appeler encor pauvre blanc. »

Il est rare que les esclaves nègres soient