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L’usage est de leur donner, à quelque distance de l’habitation, ou proche des bois, quelque portion de terre pour y cultiver leur tabac, leurs patates, leurs ignames, leurs choux caraïbes, et tout ce qu’ils peuvent tirer de ce fonds, avec la liberté de le vendre ou de l’employer à leur subsistance. On leur permet d’y travailler les jours de fêtes, après le service divin ; et les autres jours, pendant le temps qu’ils peuvent retrancher à celui qui leur est accordé pour leur repas. Il se trouve des nègres à qui ce travail vaut annuellement plus de cent écus. Lorsqu’ils sont voisins de quelque bourg, où ils peuvent porter leurs herbages et leurs fruits, ils croient leur sort très-heureux ; ils vivent dans l’abondance, eux et leur famille, et leur attachement en augmente pour leur maître.

Les plus misérables ne veulent pas reconnaître qu’ils le soient. Le P. Labat donne un exemple fort remarquable de cette vanité. « J’avais, dit-il, un petit nègre de quatorze à quinze ans, spirituel, sage, affectionné, mais d’une fierté que je n’ai jamais pu corriger. Une parole de mépris le désespérait. Je lui disais quelquefois, pour l’humilier, qu’il était un pauvre nègre qui n’avait pas d’esprit. Il était si piqué du mot pauvre, qu’il en murmurait entre ses dents lorsqu’il me croyait fâché ; et s’il jugeait que je ne l’étais pas, il prenait la liberté de me dire qu’il n’y avait que des blancs qui fussent pauvres, qu’on ne voyait point de