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ces sauvages habitaient. Comme nous étions allés à douze ou quinze lieues loin, ne demandez pas si, en passant par les villages de nos alliés, ils venaient au-devant de nous, dansant, sautant et claquant des mains pour nous caresser et nous applaudir. Il fallait que les pauvres prisonniers, suivant leur coutume entre eux, étant près des maisons, chantassent et dissent aux femmes : « Voici la viande que vous aimez tant qui approche de vous. » Pour conclusion, lorsque nous fûmes arrivés devant notre île, mon compagnon et moi nous nous fîmes passer dans une barque, et les sauvages s’en allèrent chacun à leur quartier. Quelques jours après, quelques-uns de ceux qui avaient des prisonniers nous vinrent voir à notre fort ; et, sollicités par nos interprètes d’en vendre une partie à Villegagnon, ils y consentirent pour nous obliger. J’achetai une femme et son petit garçon qui n’avait pas deux ans, lesquels me coûtèrent environ trois livres de France en marchandises ; mais ce fut assez malgré les maîtres. Car, disait celui qui me fit cette vente, nous ne savons ce qui arrivera : depuis que Paycalas, ainsi nommaient-ils Villegagnon, est venu dans ce pays, nous ne mangeons pas la moitié de nos ennemis. Je pensais bien garder le petit garçon pour moi ; mais Villegagnon me faisant rendre mes marchandises, voulut l’avoir pour lui. Encore, quand je disais à la mère que je l’emmènerais en France, elle répondait (tant cette nation a la vengeance