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bien, que, les mangeant de cette façon, il nous était avis que ce fussent carbonnades de couenne de pourceau. Cet essai fait, ce fut à qui avait des rondelles de les tenir de court ; et comme elles étaient aussi dures que le cuir de bœuf sec, il fallut des serpes et autres ferremens pour les découper : ceux qui en avaient, portant les morceaux dans leurs manches, en petits sacs de toile, n’en faisaient pas moins de compte que font les gros usuriers de leurs bourses pleines d’écus. Il y en eut qui en vinrent jusque-là de manger leurs collets de maroquin et leurs souliers de cuir. Les pages et garçons du navire, pressés de mal-rage de faim, mangèrent toutes les cornes des lanternes, dont il y a toujours grand nombre aux vaisseaux, et autant de chandelles de suif qu’ils en purent attraper. Mais notre faiblesse et notre faim n’empêchaient pas que, sous peine de couler à fond, il ne fallût être nuit et jour à la pompe avec grand travail. »

On regretterait sans doute que la suite de ce récit fût dans un autre style que celui de l’auteur. Combien de détails touchans ne faudrait-il pas sacrifier à l’élégance ! « Environ le 12 mai, reprend Léry, notre canonnier, auquel j’avais vu manger les tripes d’un perroquet toutes crues, mourut de faim. Nous en fûmes peu touchés ; car, loin de penser à nous défendre si l’on nous eût attaqués, nous eussions plutôt souhaité d’être pris de quelque pirate qui nous eût donné à manger : mais nous ne