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aussi l’opinion du charpentier, qui s’était aperçu dans ses recherches que le navire était tout rongé de vers ; mais le maître, craignant d’être abandonné de ses matelots, s’ils touchaient une fois au rivage, aima mieux hasarder sa vie que ses marchandises, et déclara qu’il était résolu de continuer sa route. Cependant, il offrit aux passagers une barque pour retourner au Brésil ; à quoi Dupont, que les protestans reconnaissaient pour chef, répondit qu’il voulait tirer aussi vers la France, et qu’il conseillait à tous ses gens de le suivre. Là-dessus le contre-maître observa qu’outre les dangers de la navigation, il prévoyait qu’on serait long-temps sur mer, et que le navire n’était point assez fourni de vivres. Il n’y eut que six personnes à qui la double crainte du naufrage et de la famine fit prendre le parti de regagner la terre, dont on n’était qu’à neuf ou dix lieues, tant Villegagnon avait inspiré de terreur. Elle ne pouvait pas être mieux fondée, car ceux qui revinrent au Brésil furent pendus en arrivant ; au reste, le sort des autres, pendant la traversée fut si affreux, qu’on ne sait si l’on doit les féliciter d’être échappés à une mort pour en souffrir mille. Laissons parler ici Léry, auteur de cette épouvantable relation, sans rien ôter à la naïveté de son style.

« Le vaisseau normand remit donc à la voile, comme un vrai cercueil, dans lequel ceux qui se trouvaient renfermés s’attendaient moins à vivre jusqu’en France qu’à se voir bientôt en-