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ment cent vingt ou cent trente, et quelquefois cent quarante mille marcs ; prodigieuses sommes dont la renommée fit tant de bruit en Espagne, que bientôt il ne se trouva plus assez de navires, pour le passage de ceux qui s’empressaient d’aller partager tant de trésors. Mais il ne fut pas long-temps nécessaire de passer la mer. La plupart des seigneurs et des ministres demandèrent des départemens dans Espagnola, et n’eurent pas de peine à les obtenir. Ils y établirent des agens qui eurent à pousser tout à la fois leurs intérêts et ceux de leurs maîtres. Les insulaires en devinrent les victimes. On les ménagea d’autant moins, que ceux qui succombaient sous le poids du travail étaient aussitôt remplacés, en vertu des provisions de la cour. Le gouverneur général n’osant rien refuser à ces impitoyables maîtres, et moins encore châtier leur cruauté, on ne peut imaginer sans horreur combien de malheureux furent sacrifiés en peu de mois à l’avidité des grands et de leurs émissaires.

Jusqu’alors on n’avait fait passer dans l’île qu’un fort petit nombre de femmes castillanes, et la plupart des nouveaux habitans s’étaient attachés à des filles du pays, dont les plus qualifiées avaient été le partage des gentilshommes ; mais les unes et les autres n’avaient pas le titre de femmes, et plusieurs même de leurs amans étaient mariés en Castille. Ovando ne trouva pas d’autre expédient, pour remédier à ce désordre, que de chasser de l’île ceux qui,