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coups dont l’un lui perça la cuisse. Il retourna au fort avec d’autant plus d’inquiétude pour sa vie, qu’il n’avait jamais vu couler son sang, et que la flèche était empoisonnée. En effet, tous ses gens s’attendaient à le voir mourir dans une espèce de rage, comme il était arrivé à tous ceux qui avaient reçu quelque blessure. Mais son courage lui fit imaginer un remède qui aurait épouvanté tout autre que lui. Il fit rougir au feu deux plaques de cuivre, qu’il donna ordre à son chirurgien de lui appliquer aux deux ouvertures de la plaie. En vain le chirurgien refusa d’obéir, dans la crainte d’avoir la mort de son général à se reprocher : Ojéda jurant qu’il le ferait pendre, s’il tardait à le satisfaire, il se rendit ; et le malade soutint cette cruelle opération avec une constance héroïque. Il avait reconnu que le venin des flèches était froid au dernier degré. La chaleur du feu consuma toute l’humeur froide ; mais elle causa une si violente inflammation dans la masse du sang, qu’il fallut employer un tonneau entier de vinaigre à mouiller des linges pour le rafraîchir.

Sa guérison ne servit qu’à le replonger dans d’autres peines. On avait déjà vu la fin des vivres qu’il avait achetés de Talavera. Enciso ne revenait point. La crainte de nouvelles extrémités, qui paraissaient inévitables porta tous les Castillans, non-seulement à demander leur départ, mais à faire des complots secrets pour se saisir des deux brigantins. Ojéda ne vit pas