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de tels héros : il s’appelait Bezerrillo[1]. Cependant l’île n’aurait pas été facilement subjuguée, si les habitans, qui virent leurs ennemis se multiplier de jour en jour par les secours qu’ils recevaient d’Espagnola, n’avaient eu la simplicité de se persuader que ces nouveaux Castillans étaient ceux mêmes qu’ils avaient tués, qui ressuscitaient pour combattre. Dans cette idée, qui leur fit regarder la résistance comme une folie, s’étant abandonnés à la discrétion de leurs vainqueurs, ils furent employés au travail des mines, où ils périrent presque tous.

La Jamaïque fut mise la même année sous le joug. L’amiral don Diègue Colomb y envoya Jean d’Esquibel, avec un corps de troupes, et l’ordre d’y faire un établissement en son nom.

Cependant Alphonse d’Ojéda était parti pour la conquête du Darien ; et l’on remarque que le fameux François Pizarre, qui fut depuis le

  1. Les historiens assurent qu’il savait distinguer les Américains ennemis et ceux qui vivaient en paix ; aussi redoutaient-ils plus dix Castillans avec ce chien que cent Castillans sans lui ; avant la guerre ils lui donnaient, pour l’apaiser, la même portion qu’à un arbalétrier, non-seulement en vivres, mais en or, en esclaves et autres choses que son maître recevait ; entre plusieurs preuves de discernement de cet animal, on rapporte que les Castillans ayant un jour résolu de faire dévorer une vieille Américaine qui leur déplaisait, ils la chargèrent d’une lettre qu’elle devait porter à quelque distance, et lorsqu’ils la virent sortir, ils lâchèrent Bezerrillo. Cette femme, le voyant accourir avec fureur, prit une posture suppliante, lui montra la lettre, et lui dit : « Seigneur chien, je vais porter cette lettre à des chrétiens ; ne me faites pas de mal. » À ces mots le chien s’adoucit, la flaira, leva la jambe, pissa contre elle, et revint sans lui nuire.