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retirer un morceau de chair qu’elle se coupa, fit griller sur le charbon, et mangea. On peut juger quelles furent cette fois la surprise et l’admiration des Yakoutes. La sorcière n’était nullement émue, et semblait n’avoir rien fait d’extraordinaire ; elle se rendit à la maison de M. Muller, où elle était hébergée, mit sur la plaie un emplâtre de résine de mélèse avec de l’écorce de bouleau, et se banda le corps avec des chiffons. Mais ce qu’il y eut de plus singulier, cest une espèce de procès verbal qu’on lui fit signer, et par lequel elle déclarait « qu’elle ne s’était jamais enfoncé de couteau dans le corps avant d’avoir travaillé devant nous ; que son intention même d’abord n’était point d’aller jusque-là ; qu’elle s’était seulemoment proposé de nous tromper, aussi-bien que les Yakoutes, en faisant glisser adroitement le couteau entre la peau et la robe ; que les Yakoutes n’avaient jamais douté de la vérité du prestige, mais que nous l’avions trop bien observée ; qu’au reste elle avait entendu dire à gens du métier que, quand on se donnerait effectivement un coup de couteau, on n’en mourrait pas, pourvu que l’on mangeât un petit morceau de sa propre graisse ; qu’elle s’en était souvenue la veille, et qu’elle s’était armée de courage pour ne pas décréditer son art devant nous ; que maintenant qu’on l’engageait aimablement à dire la vérité, elle ne pouvait cacher que jusqu’alors elle avait trompé les Yakoutes