moins du monde. Le jour et l’heure pris pour ce grand spectacle, elle se rendit exactement à l’yourte où l’on devait se rassembler. Après tous les préliminaires de la diablerie, qui furent longs ; après nous avoir fait entendre par le seul organe de sa voix les cris de différens animaux, elle se mit à converser familièrement avec les démons qu’elle seule voyait : nous l’attendions au coup de couteau ; on lui en donna un fort tranchant, et elle parut réellement se l’être plongé dans le corps de manière que la lame sortait de l’autre côté : elle opérait si adroitement le prestige, que tout le monde y fut trompé. Je portai dans le moment la main à l’endroit où elle s’était frappée, pour sentir si le couteau était effectivement dans le corps ; mais, sans se déconcerter, elle me dit sur-le-champ que le Diable ne voulait pas lui obéir cette fois, et qu’il fallait remettre la partie. La folie était commencée, il fallait bien aller jusqu’au bout : nous lui donnâmes rendez-vous pour le lendemain au soir. Quoiqu’elle eût avoué tout haut que le couteau n’était pas entré dans son corps, tous les Yakoutes crurent le contraire ; ils s’imaginaient que les diables lui avaient ordonné de cacher la vérité du fait par rapport à nous autres infidèles. Le lendemain, à l’heure marquée, la cérémonie recommença, et le coup de couteau fut mieux asséné que la veille ; elle se le plongea réellement dans le ventre, et le retira plein de sang. Je tâtai la plaie, je l’en vis
Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 11.djvu/146
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.