Page:La Harpe-Œuvres. Vol 1-1821.djvu/210

Cette page n’a pas encore été corrigée

Dans ce monde bruyant comment peut on souffrir,

Que les distractions, les soins et le plaisir, [450]

De l'âme à tout moment éloignent ce qu'on aime ?

Peut-on se voir ainsi séparé de soi-même !

Ah ! Lorsque tant d'objets ont partagé le jour,

Ce qui doit en rester, est bien peu pour l'amour.

Mais ici tout le sert et rien ne le balance. [455]

Le cœur de son penchant s'entretient en silence.

Rien ne s'offre à nos yeux qui le fasse oublier ;

Chaque instant à l'amour appartient tout entier.

Je l'ai bien éprouvé : Monval dans ces demeures

Monval m'occupait seul et remplissait mes heures. [460]

Lorsque tout sommeillait, dans l'ombre de la nuit,

Je répétais souvent tout ce qu'il m'avait dit.

Seule durant le jour, craignant d'être obsédée,

Craignant qu'on m'arrachât à cette douce idée,

Rappelant ses regards, ses gestes, ses soupirs, [465]

Mon âme autour de soi recueillait ses plaisirs.

LE CURÉ

Monval n'a-t-il pas su tout ce qu'il vous inspire ?

MÉLANIE

Ô ! Combien j'aimerais à pouvoir le lui dire !

Mais jamais à ma bouche un mot n'est échappé,

Qui pût trahir ce cœur ainsi préoccupé. [470]

Qu'il m'en coûtait. Ô ! Ciel ! Surtout en sa présence,

Que je me reprochais ce rigoureux silence !

Loin de lui je cherchais à l'en dédommager ;

Je lui parlais alors sans crainte et sans danger,

Et dans cet entretien qu'il ne pouvait entendre, [475]

J'exprimais beaucoup plus qu'il n'eut osé prétendre.

Cependant je songeai quel serait mon destin,

Mes yeux longtemps distraits s'y fixèrent enfin.

L'effrayant avenir où s'égarait ma vue

Ne m'offrait qu'un abîme où j'étais attendue. [480]

Je vis que j'y tombais sans espoir d'en sortir,

Et j'entendis la voix de l'affreux repentir.