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Je feignis malgré moi de ne le pas entendre.

Que je lui savais gré d'un intérêt si tendre !

J'entrevis quelques pleurs qu'il voulait dévorer, [425]

Il semblait à la fois me plaindre et m'adorer.

Ô ! Que cet entretien est gravé dans mon âme !

Il ne m'avait rien dit qui déclarât sa flamme,

Rien qui pût ressembler aux discours des amants,

Mais ses derniers regards valaient tous les serments, [430]

Et moi-même en secret de lui toute remplie

Je jurai qu'à lui seul appartiendrait ma vie.

Dans ce premier moment je fus loin de prévoir.

Tous les maux que prépare un amour sans espoir,

Et mon âme, embrassant un sentiment si tendre [435]

S'élança vers l'objet qu'elle semblait attendre,

Et crut en lui livrant un pouvoir absolu,

Satisfaire un besoin jusqu'alors inconnu.

Hélas ; j'en jouissais sans trouble et sans alarmes,

Et sans affliction je répandais des larmes. [440]

Mon cœur s'applaudissait d'échapper à l'ennui,

D'avoir un sentiment, de trouver un appui.

Contre l'amour sans doute il n'est point de défense ;

Mais que la solitude ajoute à sa puissance !

Que ses traits pénétrants ailleurs trop émoussés [445]

Descendent plus avant au fond des cœurs blessés !

Je n'ai du monde encore aucune expérience,

Mais s'il faut sur ce point dire ce que je pense,