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J'eus toujours devant moi cette effroyable image.

Elle me poursuivait : mes esprits agités

N'entrevoyaient partout que d'affreuses clartés.

Je ne pouvais penser que cette infortunée, [375]

Sans raison, sans motif eut plaint ma destinée.

Qui peut vouloir tromper à ses derniers moments ?

Mais si je l'en croyais, quels tristes sentiments

S'élevaient dans mon âme et la glaçaient de crainte !

"Eh ! Quoi ! De tous côtés l'artifice et la feinte ! [380]

On séduit ma candeur, on veut m'en imposer !

Et tout ce que j'aimais conspire à m'abuser " :

Ces soupçons m'inspiraient une sombre tristesse,

L'effroi, l'abattement flétrissaient ma jeunesse.

Le cloître m'effrayait : je rencontrais partout [385]

L'odieuse contrainte et l'importun dégoût.

Je détestai dès lors cet habit de novice,

J'abjurai dans mon coeur mon fatal sacrifice.

Je n'osais cependant avouer mes chagrins,

De mon père sur moi je savais les desseins, [390]

J'espérais quelquefois pouvoir le satisfaire.

Je songeais pour charmer mon ennui solitaire,

Qu'au moins les passions ne rongeaient point mon coeur,

Que de l'amour encor le poison séducteur,

Dont j'avais une fois contemplé la furie, [395]

À des maux plus cuisants ne livrait point ma vie.

Mais ce repos hélas ! Ne dura pas longtemps...

Malheureuse !

LE CURÉ

Achevez ces aveux importants.

Parlez, ne craignez rien.

MÉLANIE

Ô ! Mon guide ! Ô ! Mon père

Qu'aisément avec vous je puis être sincère ! [400]

Que mon âme à la vôtre aime à se confier !

Ah ! C'est de mes plaisirs peut-être le dernier.

Ma consolation dans ces lieux, la plus chère

C'était de voir souvent ma respectable mère,

Ma mère qui toujours m'aima si tendrement ! [405]

Elle vit dans mon zèle un refroidissement.

Mais je lui dérobai ma profonde tristesse,

Qui pouvait sur mon sort alarmer sa tendresse.

Un parent (c'est Monval) voulut un jour me voir.

Il arrive avec elle en ce même parloir. [410]

On m'avertit, j'accours... ma surprise à sa vue,

Sur son front, dans ses traits la grâce répandue,

Son maintien, de ses yeux la touchante douceur,

Et le son de sa voix, encor plus enchanteur,

Tout à mes sens troublés dût faire reconnaître [415]

Qu'en ce moment mon cœur venait de voir son maître.

Il s'assit, parla peu, me regarda toujours.

J'ai retenu de lui jusqu'au moi