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de Mme de La Guette.

parti. Il se présenta à lui, et mon mari, qui ne le connut point, lui dit : « Mon ami, à qui es-tu ? » — « Je suis à vous, Monsieur, repartit le laquais ; je vous apporte des nouvelles de madame. » — « Sont-elles bonnes ? reprit-il, parle vite. » — « Oui, Monsieur, répond le laquais ; elle se porte fort bien. » — « Cela suffit, » dit mon mari, qui prit mes lettres et fit monter le laquais à cheval derrière un cavalier pour rejoindre l’armée.

Il ne fut pas plus tôt arrivé dans sa tente qu’il ouvrit le paquet et y trouva ma figure en petit, qui n’étoit pas des plus laides, à ce que l’on disoit en ce temps-là. Il fit voir ce portrait à ses amis particuliers et les régala sur-le-champ. Il fut bu plusieurs santés, et je m’assure que la mienne ne fut pas oubliée. On tournoit le visage de ma peinture du côté de la ville aussitôt que les ennemis mettoient le feu au canon. Ils avoient raison d’en user ainsi, car l’original n’a jamais tourné le dos aux occasions périlleuses. Et mon mari s’imaginoit que c’étoit moi-même et qu’il falloit que je visse tout ce qui se passoit. La ville rendue, il obtint son congé. Je crois qu’il auroit bien voulu que son cheval eût eu des ailes ; mais comme il avoit des gens avec lui, il lui fallut aller le pas. Il arriva enfin, et ce ne furent que caresses de part et d’autre. Je ne biaise point ici, car une femme ne sauroit trop aimer son mari. Que l’on dise ce que l’on voudra, je ne fais pas beaucoup de cas de celles qui font les sucrées parce qu’elles sont très-sujettes