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de Mme  de La Guette.

Mon père, après avoir donné quelque temps à sa douleur, je dis douleur parce qu’il est très-sensible à un père absolu, comme étoit le mien, d’avoir été désobéi par une fille qu’il aimoit tendrement, rechercha de se satisfaire par toutes les voies de la rigueur. Il fit décréter contre tous ceux qui avoient assisté à mon mariage, et contre mon mari même. Cela donna de l’épouvante à tous les témoins qui restoient dans le pays. Je devois avoir ma part de cette bourrasque, puisque j’avois trempé plus qu’aucun dans la faute ; mais comme j’ai toujours été intrépide, tout ceci ne me causa point la moindre émotion. Mon père, cependant, se ralentit peu à peu. Tant de personnes de piété lui parlèrent, que cela l’obligea de surseoir toute chose, sans néanmoins me vouloir aucunement voir. J’en avois un déplaisir extrême ; mais il n’y avoit point de remède. Il me falloit ronger mon frein. Quant à mon mari, je recevois de ses nouvelles assez souvent, qui étoient en son absence toute ma consolation. Mon chagrin étant un peu passé, je commençai à rendre visite à trois dames de qualité qui venoient tous les étés prendre l’air dans leurs belles maisons, au même lieu où je faisois ma demeure. L’une s’appeloit madame Molé[1] ; la seconde madame de

  1. Jeanne Gabrielle Molé, fille de Mathieu Molé, procureur général au parlement de Paris, puis premier président et garde des sceaux. Elle avoit épousé Jean Molé, deuxième du nom, seigneur de Jusanvigny, président aux enquêtes, son cousin germain.