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de Mme de La Guette.

vouloit obliger comme étant son ami. Aussitôt qu’on fut hors de table, mon père me dit : « Suivez-moi » et me mena dans un petit jardin pour me dire : « Avez-vous bien regardé ce jeune gentilhomme qui étoit auprès de vous ? Je vous recommande de le recevoir de bonne grâce, parce que j’en veux faire votre mari ; il viendra tout à l’heure. Faites la chose comme je vous l’ordonne, » et se retira sans que j’eus le temps de répondre un seul mot. Le cavalier parut au même moment tout tremblant, comme je crois ; car j’avois les yeux tout en feu de colère. Il me dégaina son compliment avec désordre, et il eut peu de satisfaction de moi. Je lui répondis que je n’approuvois nullement son dessein et qu’il pouvoit se retirer au plus vite, que sa recherche m’offensoit. Il demeura tout interdit, en disant : « Je suis le plus malheureux de tous les hommes. » — « Il est vrai que vous l’êtes, lui dis-je ; car si vous persévérez, je vous perdrai. » Je le quittai brusquement et fus rejoindre la compagnie. Il fut obligé de me suivre avec un visage peu satisfait. L’on demeura là encore quelque temps ; et puis l’on prit congé de madame l’abbesse pour s’en retourner chacun chez soi.

Mon père me fit monter à cheval pour me parler en chemin. « Hé bien ! me dit-il, ma fille, que dites-vous de ce jeune gentilhomme ? vous serez heureuse ; c’est un fils unique qui a de grands biens, et qui vous aimera infailliblement. J’aurai de la joie de vous voir en ménage : n’y consentez-vous