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de Mme  de La Guette.

âme une idée si avantageuse pour moi, qu’il n’y a eu que la mort qui l’ait pu détruire. Il fut donc question de me déclarer ses sentiments, et ce fut pour parvenir à son dessein qu’il fit amitié avec mon beau-frère, afin de s’introduire chez nous. Il y vint rendre visite, et mon père le reçut fort agréablement, parce que tous les gens d’honneur y étoient les bien-venus. Je laisse à penser dans quelle émotion je pouvois être de voir cette personne que j’estimois beaucoup. Hors le salut, il ne me dit rien ce jour-là. L’amour agissoit fortement pour tous deux ; ses visites devinrent fréquentes ; et il fut assez heureux pour rencontrer une heure favorable pour me déclarer sa passion ; ce qu’il fit de la manière la plus obligeante du monde. Il avoit beaucoup d’esprit, beaucoup d’amour et étoit fort éloquent, ce qui m’embarrassoit assez, ne pouvant repartir juste à tout ce qu’il me dit dans ce moment ; mais je lui fis bien connoître que j’approuvois son dessein et que je me tiendrois heureuse si mon père le vouloit approuver aussi, parce que j’y étois absolument résolue ; et même je lui dis qu’il se pouvoit assurer de ma constance, qui lui seroit toujours favorable, quoi qu’il pût arriver. Il étoit si transporté de joie qu’il ne se sentoit presque plus. Il me dit les paroles du monde les plus reconnoissantes, et m’assura de sa foy et de sa fidélité, qui fut inviolable. Il se passa quelque temps sans qu’il en parlât à mon père ; et même il s’en retourna à l’armée, ne jugeant pas à propos