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Mémoires

c’étoit un gentilhomme que monsieur d’Angoulême[1] aimoit, et dont quantité de gens faisoient cas. Je m’en retournai chez mon père, mais non pas si libre que j’en étois sortie, parce que cet homme si bien fait me flattoit toujours l’idée et me donnoit de l’inquiétude sans savoir pourquoy. Je l’ay sçu du depuis ; car je l’aimai assez pour en faire mon mary, comme l’on verra dans la suite. La rencontre fut pareille de son côté ; les regards si fréquents qu’il me faisoit formèrent dans son

  1. Charles de Valois, comte d’Auvergne d’abord, puis duc d’Angoulême et grand prieur de France, fils illégitime de Charles IX et de Marie Touchet. Il a eu une jeunesse et un âge mûr fort agités par l’ambition, par les intrigues, par les conspirations, par les révoltes ; mais en ce temps-là, il subissoit l’empire du cardinal de Richelieu. Il étoit rentré dans son devoir de fidèle sujet. Quand les troubles de 1648 éclatèrent, il jouissoit auprès des Frondeurs, du moins, d’une réputation bien établie de patriotisme. Une des meilleures mazarinades est, suivant Naudé, celle qui porte pour titre : Les Souhaits de la France à monseigneur le duc d’Angoulême. Elle est de 1649. L’auteur du Qu’as-tu vu de la cour ou les Contre-vérités, disoit, la même année : « J’ai vu le vieux M. d’Angoulême venir de Grosbois demander à genoux une charge sous M. le prince et respirer la perte de tout le royaume. » Le duc d’Angoulême habitoit presque constamment, dans ses dernières années, son château de Grosbois. On peut voir dans Tallemant des Réaux le singulier hôte qu’il y logeoit : « Il étoit tout courbé et tout estropié de goutte, » a dit encore le très-curieux chroniqueur. Je lis, en effet, dans la Lettre du père Michel : « Parlez à la reine avec autorité ; vous le pouvez par votre qualité : vous le devez à vostre aage ; et ne vous excusez pas sur quelque péril que ce soit. Vous ne devez plus craindre la mort depuis le temps que vous la sentez par la force qu’elle vous oste. Il ne vous reste plus que la langue ; et c’est aujourd’huy la seule partie de vostre corps et de vostre âme. C’est par elle que vous pouvez aujourd’huy asseurer vostre salut. » Le duc d’Angoulême est mort en 1650, âgé de soixante-dix-sept ans.