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Mémoires

quoy que cela ne soit pas ordinaire en France aux gens qui ne sont pas du commun. Je luy en ai rendu un million de grâces avec beaucoup de raison, parce que je puis dire qu’il n’y a point de femme qui soit d’un meilleur tempérament, ni qui ait moins d’infirmités que moy. Elle m’éleva donc, cette bonne mère ; et sitôt que je fus hors de l’enfance, elle commença à me donner de petits soins dans sa maison, et me faisoit toujours rendre compte de ce qu’elle m’avoit commandé. Il n’y a rien qui ouvre tant les esprits des jeunes filles que de les faire agir de bonne heure, et je conseillerois à toutes les mères d’en faire de même ; car, outre que cela les rend intelligentes, cela empêche aussi l’oisiveté, qui est un vice que notre sexe doit fuir plus que la peste. Ayant atteint l’âge de dix ou douze ans, je fus envoyée à Paris chez un frère de ma mère pour me façonner un peu et m’ôter mon air campagnard. On me fit venir des maîtres pour apprendre ce qu’une demoiselle doit savoir ; et à mon retour chez mon père, il crut que j’avois assez bien employé mon temps ; car il avoit tant de bonté pour moy, que tout ce que je faisois lui étoit agréable ; et même, comme mon humeur a été toujours martiale, je le priai de me donner un maître d’armes, ce qu’il m’accorda. J’avoue que je n’avois point plus de satisfaction que lorsque je tenois le fleuret en main. En exerçant ce métier avec mon maître, le poignet me devint assez ferme. Il y avoit deux jeunes gentilshommes dans notre voisi-