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Mémoires

j’y fus, et m’en couvrit toutes les jambes. Chacun sait que cela est plus dangereux que la morsure même du chien. Je ne m’en étonnai point, et fis seulement réflexion à la grâce que Dieu m’avoit faite de n’avoir pas été dévorée sous ce lit, vu que je m’y étois mise jusqu’à la moitié du corps, et que ces malheureuses bêtes mordent toujours pendant qu’elles trouvent de quoi, ce qui est un des effets de la rage. Je ne pouvois cesser d’admirer la bonté de Dieu en mon endroit de m’en avoir préservée. On voit par là qu’on ne peut jamais dire avec certitude qu’on est en sûreté en quelque lieu qu’on se trouve. Aussitôt qu’il fut jour, j’allai visiter mes bestiaux pour voir s’ils étoient mordus à sang. L’on n’y vit que de la bave, ce qui me fit croire que cela ne seroit rien, n’en ayant jamais vu les effets. Tous les habitants du lieu étoient fort étonnés de cette rencontre, et disoient presque tous qu’on en verroit des suites, ce qui ne m’empêcha pas de manger du lait et du beurre de mes vaches, ainsi que tous ceux de ma maison. Vingt-six jours après il vint quatre religieuses coucher chez moi, qui venoient de Bresse et de Bourgogne, et étoient de ces bonnes filles de Sainte-Claire qui vont tous les carêmes à Paris faire la quête pour leurs maisons. Je leur dis l’accident qui m’étoit arrivé, dont elles furent tellement épouvantées qu’elles voulurent s’en aller tout sur-le-champ, quoiqu’il fût nuit. Je les rassurai tant que je pus ; et elles me contèrent que depuis peu il étoit arrivé en leur pays un dé-