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de Mme  de La Guette.

Jésus-Christ. J’aurois souhaité de tout mon cœur que nous nous en fussions allés de compagnie ; mais Dieu ne le voulut pas, et il fallut boire ce calice sans murmurer contre l’ordre de la Providence. Mes amis me ramenèrent dans ma chambre pour me remettre au lit, et me dirent tout ce qu’on peut dire en une pareille rencontre. Pour moi, j’ai toujours attendu ma consolation d’en haut, et je m’en suis bien trouvée, puisque c’est là où tous les mortels doivent avoir recours. Sur le soir, quand tout le monde fut retiré, et que les ecclésiastiques furent allés manger un morceau dans ma maison, je me levai doucement pour aller prendre le corps de mon cher mari, avec dessein de le cacher dans mon lit. Comme je le chargeois sur mes épaules, à quoi j’eus beaucoup de peine, parce qu’il étoit déjà froid, je fis un peu de bruit que ces bons ecclésiastiques, qui soupoient au-dessous de sa chambre, entendirent, ce qui les obligea de quitter la table pour venir voir ce que c’étoit. Ils me trouvèrent fort occupée, et, après m’avoir fait de fortes réprimandes, ils m’ôtèrent de là malgré moi pour me ramener à ma chambre. Ce fut là que je perdis la raison et que je m’emportai avec violence, considérant que je ne verrois plus mon pauvre mari que j’avois tant aimé. Je fus cinq heures entières à parler de ma perte, avec des transports si grands, que les assistants crurent que j’allois perdre l’esprit. Il vint bien deux cents personnes me voir dans cet état-là, qui avoient tous grande compas-