Page:La Guette - Mémoires, 1856.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
Mémoires

ses quatre pieds, qui assurément m’auroient tuée en se relevant. J’en fus quitte pour avoir le nez cassé, comme je l’ai dit, et la cervelle bien ébranlée, en sorte que je m’en suis ressentie plus de dix ans à tous les changements de temps, où je souffrois des douleurs insupportables. Mon mari survint qui me trouva toute en sang et me dit cent choses en colère, avec beaucoup de raison, car ma petite boutade fut cause de ma chute. Il fallut néanmoins marcher dans l’état où j’étois, et suivre le messager ; nous fîmes une très-grande journée. En chemin faisant, il y eut deux gentilshommes de notre bande qui m’accostèrent. Nous parlâmes de cent choses indifférentes, ce qui n’empêcha pas que je n’eusse la curiosité de savoir le sujet de leur voyage. L’un me dit que la grande envie qu’il avoit de voir une fort belle personne l’obligeoit d’aller à Paris sans y avoir aucunes autres affaires. Je lui demandai si elle étoit mariée ; il me dit que oui et que cela n’empêchoit pas l’affection qu’il avoit pour elle ; qu’il étoit assuré de la sienne, et que pour preuve de cela, quand elle étoit dans leur province, ils se voyoient fort souvent dans un petit bois à un quart de lieue de chez elle, seul à seul. Je lui demandai de quelle qualité elle étoit. Il me dit : « C’est la marquise de… » Il se trouva justement que le mari de cette marquise étoit ami du mien. Je voulus encore pousser la chose plus loin et le faire parler, faisant toujours semblant de ne la point connoître. À la fin, quand il m’eut dit beaucoup