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Mémoires

M. de Saint-Preüil nous vint prendre avec ses amis, comme M. de Riberac nous avoit dit. Nous ne fûmes pas plus tôt sortis de la ville que je lui dis : « Hé bien ! monsieur, voilà M. le comte de Marsin. Qu’en pensez-vous à cette heure ? — Je crois, Madame, que j’ai été un animal ; mais vous me parûtes d’une façon toute extraordinaire pour une femme ; et je puis dire qu’il y a peu de cavaliers qui soient mieux à cheval que vous : ce fut ce qui me donna le soupçon que j’avois que vous fussiez M. de Marsin. » Il s’entretint longtemps avec mon mari sur la mort de M. de Saint-Preüil, son oncle, qui étoit gouverneur d’Arras, qui eut la tête tranchée[1]. M. de La Guette lui en dit beaucoup de choses, parce qu’il étoit son serviteur et le connoissoit particulièrement. Il s’étoit trouvé aussi à cette affaire de la garnison de Bapaume qui fut chargée à contre-temps, et même il fut appelé en témoignage contre M. de Saint-Preüil, contre qui il ne put parler qu’à sa décharge, quant à cette action ; car je

  1. Le brave Saint-Preüil, décapité à Amiens le 9 novembre 1641. Il étoit âgé de quarante ans. Son procès lui fut fait principalement pour avoir attaqué et battu la garnison espagnole de Bapaume, qui, après la prise de la place, se retiroit accompagnée d’un trompette du maréchal de La Meilleraye. En même temps il étoit accusé d’avoir établi de sa seule autorité des impositions sur les entrées d’Arras et d’avoir mis le pays à contribution. C’étoient là les griefs ostensibles. Y en avoit-il d’autres ? On le croit généralement : mais il seroit difficile de les établir d’une manière satisfaisante. Saint-Preüil s’appeloit François de Jussac. « Ce n’est pas qu’il ne fût un violeur et un tyran, dit Tallemant des Réaux, mais galant homme du reste et qui dépensoit tout. »