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Mémoires

tirer. Elle me dit : « Vous avez raison ; retirons-nous. » Comme elle passoit devant le navire qui étoit de garde, le capitaine fit mettre le feu aux canons pour lui faire honneur. Cela donna tellement l’alarme par toute la ville de Bordeaux qu’on envoya voir ce que c’étoit. M. de Marsin nous le dit quand nous fûmes de retour, et que les Bordelois avoient cru d’abord que l’armée du roi approchoit. Ils en furent néanmoins quittes pour la peur.

Quand M. le comte de Marsin eut conféré avec M. le prince de Conty et qu’il m’eut dit ce qu’il avoit à me dire, j’écrivis à M. Philippe et lui mandai de voir la reine pour assurer sa Majesté que je partois dans deux jours, avec mon mari, pour lui rendre compte de ce que j’avois fait, et que je pouvois l’assurer par avance que j’espérois que mon voyage ne seroit pas inutile. J’en avois bien de la joie et disois en moi-même : « Pauvres messieurs de l’Ormée[1], vous donnerez bientôt du nez en terre. » Quand je voyois passer ce Dureteste[2] leur chef, il me faisoit horreur. En effet, il porta ensuite la peine qu’il méritoit, comme tout le monde a su.

Un jour avant notre départ, M. le comte de Marsin entretint mon mari assez longtemps en particulier et lui mit en main sa lettre de créance pour M.  le

  1. Faction démagogique de Bordeaux. Elle prenoit son nom d’une ormée, promenade plantée d’ormeaux, sur laquelle elle avoit coutume de s’assembler.
  2. Il n’étoit pas le chef, mais un des trois chefs de l’Ormée. Les deux autres s’appeloient Bonnet et Villars. Dureteste, excepté de l’amnistie, fut arrêté et mis a mort en 1653.