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de Mme  de La Guette.

nos salutations faites, que je ne verrois mon enfant que quand je serois auprès de Mme de Marsin.

    tranquillement avec sa femme, le régiment de Marsin ouvrit la porte qui lui étoit confiée, et, se mettant avec les troupes du roi, marcha à l’hôtel de ville, ou logeoit mon frère, pour enfoncer les portes ; ce qui l’ayant éveillé, il se saisit de ses deux pistolets, qu’il tira à ceux qui montoient son degré. Sa femme, qui étoit mademoiselle d’Estaing, dame pleine de beauté et de mérite, âgée seulement de dix-neuf à vingt ans, effrayée du bruit quelle entendoit, voulut traverser une galerie pour venir au secours de son mari ; mais elle fut renversée de cinquante coups de mousquets, dont il y en avoit trois qui lui traversèrent le corps. Tandis qu’elle expiroit, mon frère couroit de tous côtés pour la faire sauver ; mais en sortant de son appartement, il trouva son maître d’hôtel, qui avoit dix mille écus à lui dans ses coffres, qui lui appuya le pistolet dans le ventre, disant qu’il falloit tuer l’ennemi du roi. Heureusement il le manqua. Et comme ce coquin alloit redoubler, mon frère le saisit dans le temps qu’il le tiroit. On peut s’imaginer combien il fut frappé de la perfidie d’un valet qui l’avoit servi depuis dix ans et qui le vouloit assassiner pour avoir son argent. Mais de quelle horreur ne fut-il pas surpris quand, en sortant de sa chambre, il vit sa femme toute baignée dans son sang, qui sembloit n’attendre que son arrivée pour lui dire le dernier adieu, et embrasser un de ses enfants qui n’avoit que deux ans, étendu à sa droite avec sa nourrice qui l’avoit voulu sauver. Jamais spectacle ne fut plus horrible. Aussi mon pauvre frère tomba évanoui et seroit mort de douleur si Marin, qui commandoit les troupes du roi, n’eût accouru pour le tirer d’entre mille épées nues qui étoient sur le point de lui arracher une vie qui lui étoit insupportable. Après l’avoir éloigné d’un objet si triste et si déplorable, il lui fit donner un habit pour se couvrir ; car il ne sauva quoi que ce soit au monde de plus de vingt-cinq mille écus d’argent comptant, sa vaisselle, ni un seul cheval de son équipage, le tout ayant été pillé. Marin en agit le mieux du monde, et l’amena à M. de Candale. Ce pauvre homme ne me vit pas plus tôt qu’il fut une demi-heure sans pouvoir me parler. À la fin il ne put retenir ses larmes, et en m’embrassant il me dit qu’il n’avoit plus regret de mourir après avoir eu la satisfaction de me voir, sentant bien qu’il n’avoit pas la force de résister ni de survivre à l’ef-