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de Mme de La Guette.

de mes servantes à qui les Lorrains avoient donné un grand coup d’estramaçon sur la tête et plusieurs autres coups, en sorte qu’elle étoit tout en sang. Elle me dit en pleurant : « Madame, votre maison, vos chevaux et bestiaux sont pillés ; tous vos gens sont en fuite. » Cette femme étoit économe de la maison que je n’habitois pas, et étoit fort entendue. J’en eus un extrême regret, car elle mourut quatre jours après. Pour mon pillage qui se fit à droite et à gauche dans tout le temps que les Lorrains séjournèrent là, j’eus pour plus de soixante mille francs de perte. Je puis dire que tout cela ne me toucha nullement, n’ayant jamais eu d’attache au bien et en ayant fait un mépris toute ma vie. Pour la vertu, c’est ce que je considère fort, en quelque lieu qu’elle se trouve ; et quiconque la possède, possède tout.

Le lendemain de mon arrivée à Gros-Bois, l’armée de Lorraine marcha en bataille pour aller faire l’attaque à M. le maréchal de Turenne ; mais Dieu, protecteur de mon roi, l’empêcha. Vous allez apprendre comment : Le major nommé Gros-Bois me vint dire : « Madame, vous qui êtes la plus généreuse et la plus courageuse de toutes les femmes, voulez-vous avoir bien du passe-temps aujourd’hui ? Voilà notre armée qui va attaquer M. de Turenne ; je m’assure qu’il n’en échappera pas un ; et vous verrez beau jeu. » Selon les apparences, ils pouvoient tout prétendre en ce temps-là, parce que l’armée du Roi n’étoit que de six à