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Mémoires

l’armée de demeurer ici en sauvegarde. Je suis assurée que M. le maréchal de Turenne[1] n’en sera point fâché ; mon mari a l’honneur d’être son très-humble serviteur. » Ils vouloient tous demeurer ; je dis : « Non, il n’en faut qu’un. » Celui qui m’avoit parlé y demeura. Il étoit Italien de nation et officier dans le régiment de M. le cardinal Mazarin. Je remerciai tous les autres, qui s’en allèrent chercher fortune ailleurs, après avoir goûté de mon vin. Aussitôt que l’on sut que j’avois un officier chez moi, toutes les femmes et les filles y accoururent, et quantité d’hommes, pour se mettre en sûreté. Incontinent après, tout le lieu fut plein de picoreurs qui faisoient un ravage épouvantable. Je priai mon Italien de se mettre sur ma porte jusqu’à ce que tout cela fût passé. Plusieurs lui demandèrent ce qu’il faisoit là. « Je suis en sauvegarde ici de la part de M. le maréchal de Turenne, leur répondit-il. La maison appartient à M. de La Guette. » La plupart disoient : « Nous sommes serviteurs de M. de La Guette. » Quand tout fut passé, je dis à son valet de lui dire que je le priois de rentrer et qu’il prit la peine de monter à ma chambre. Aussitôt qu’il y fut, je fis apporter la collation ; il en avoit besoin, car il mangeoit de grand appétit. Quand sa première faim fut passée, il me dit : « Madame, vous ne savez pas une nouvelle que je vas vous dire ; c’est que les Lorrains nous suivent

  1. Henri de La Tour-d’Auvergne, vicomte de Turenne.