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de Mme  de La Guette.

lui ; car quelques-uns, mal intentionnés, avoient dit à madame sa mère et à elle qu’il étoit très mal fait, cicatrisé par le visage, estropié d’un bras ; et elle voyoit l’homme du monde le mieux fait auprès d’elle. C’est pourquoi elle attendoit toujours cet estropié ; mais M. le comte de Marsin lui fit connoitre dans l’entretien qui il étoit, en parlant du roi, qui étoit encore jeune en ce temps-là et qui pourtant avoit la mémoire du monde la plus heureuse ; car il dit à mademoiselle de Clermont que, quand il fut saluer le roi au sortir de sa prison, le roi dit : « Voilà Marsin, » quoiqu’il y eût déjà quelque temps qu’il n’avoit point eu l’honneur d’être vu de Sa Majesté. À ce mot de Marsin, mademoiselle de Clermont prit un rouge le plus beau et le plus naturel qui se soit jamais vu. Je dis en moi-même : « L’affaire va bien ; car quand on a de l’indifférence pour les gens, on n’a jamais d’émotion. »

La visite fut longue, et je ne m’en étonnai pas ; car on y prenoit grand plaisir. Néanmoins, il fallut se séparer. Ils m’emmenèrent avec eux ; et quand nous fûmes en carrosse, je dis : « Monsieur, que vous semble de cette belle demoiselle ? Êtes-vous satisfait ? — Je le suis, me dit-il, à un point qui n’est pas croyable ; et si je l’avois pu fabriquer pour mon contentement, je ne l’aurois pas faite autre qu’elle est. — Voilà qui est fort bien, lui dis-je ; je saurai demain si vous avez eu le bonheur de lui plaire comme elle vous a plu. » Je trouvai que c’étoit la même chose. Il survint néanmoins un