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Mémoires

vouée à un autre saint. » Il demeura sot comme un panier et n’osa pas me dire un mot de plus sur ce sujet. On parla de plusieurs autres choses indifférentes, et sur le soir il me pria de mettre son porte-manteau dans mon cabinet. Je lui demandai s’il y avoit quelque chose de rare : il me dit que c’étoient des poulets de ses maîtresses. « Ah ! si ce sont des poulets, comme vous dites, il les faut porter dans ma basse-cour ; c’est leur véritable repaire ; et vous pouvez garder votre valise dans votre chambre, s’il n’y a autre chose de valeur. » Il prit congé de moi aussitôt que l’on eut soupé, et partit de grand matin sans me dire adieu.

Une heure après, je vis arriver un cavalier au grand galop, qui mit pied à terre chez moi, et me vint trouver en ma chambre pour me présenter un billet de la part de M. le comte de Marsin, qui me mandoit de faire arrêter le baron un tel, parce qu’il avoit ployé la toilette[1] de madame sa sœur ; qu’il ne prétendoit pas que cela fût perdu, et qu’en cas qu’il fût parti, il me prioit d’en écrire à mon mari, afin qu’il n’eût pas le temps de gaspiller ce qu’il avoit pris. J’en écrivis au plus tôt, et mon mari y donna ordre. Le pauvre malheureux devint fou par les chemins. L’on fut obligé de le lier sur une charrette de bagages ; et même on lui donna le fouet par plusieurs reprises, ce qui lui fit tous les

  1. Plier la toilette, enlever ce qu’il y a de meubles, d’habits, de linge, de pierreries, qu’on laisse en voie dans sa maison et sur sa toilette. Dictionnaire de Furetière.