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de Mme de La Guette.

simple tonsure[1], qui me donna bien du plaisir ; car en entrant dans ma chambre, il fit ses révérences d’une telle manière qu’il se bricola les jambes avec ses éperons et alla tomber de toute sa force à la ruelle de mon lit. Le prévôt du lieu étoit avec moi, et nous eûmes bien de la peine à le relever. Il en fut quitte pour avoir un peu le nez cassé ; mais cet honnête homme s’étant retiré, mon baron commença à causer à son aise. Il me dit qu’il étoit bien lâché d’avoir manqué M. de La Guette, et que M. le comte de Marsin lui avoit dit qu’il ne seroit pas malheureux de faire le voyage avec lui ; que néanmoins il se trouvoit le plus satisfait de tous les hommes de m’avoir rencontrée, et qu’il ne croyoit pas que la campagne possédât une personne si rare ; qu’il avoit été amoureux de dix femmes à Paris et que j’étois la onzième. Il me prit un éclat de rire le plus grand du monde, car personne ne s’étoit encore avisé de m’en dire autant. Il voulut toujours pousser la fleurette, mais je lui dis : « Mon bon seigneur, demeurez-en aux dix, je vous en prie, et laissez la onzième : elle est

  1. « Tonsure se dit figurément et bassement de ce qu’on veut faire passer pour fort simple, mince et délié. Docteur, médecin, avocat à simple tonsure sont ceux qui ont peu de capacité, de mérite. » Cette explication de Furetière ne me satisfait pas. J’en hasarde une autre : La tonsure est le premier des ordres mineurs. Elle n’est qu’un degré qui conduit à la prêtrise. On n’est pas prêtre pour être tonsuré ; on n’est pas même obligé à le devenir : c’est-à-dire qu’on ne s’est voué à l’Église par aucun engagement irrévocable. Un baron a simple tonsure est donc à un baron ce qu’un tonsuré est à un prêtre. C’est un baron qui aspire à l’être, mais qui ne l’est pas, qui ne le sera peut-être jamais.