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Mémoires

pour régaler le nouveau venu : les vins exquis n’y manquèrent pas. L’on but des santés de la bonne sorte, se trouvant là des gens qui s’en savoient démêler. Il me tardoit fort que la nappe fût levée pour aller entretenir mon mari à mon aise et dans notre lit ; car il avoit besoin de repos, puisqu’il revenoit de plus de deux cents lieues. On le conduisit à notre chambre, et aussitôt on prit congé de nous, en quoi l’on nous fit plaisir ; car deux personnes qui s’aiment uniquement ne demandent point de tiers. Le lendemain nous prîmes congé de la compagnie pour retourner chez nous et y vivre sans contrainte. Dans le séjour que mon mari fit auprès de moi, je remarquai qu’il rendoit des visites fréquentes à une dame de qualité. Cela me mit martel en tête ; je veux dire que j’en devins jalouse au dernier point. C’est le plus grand mal que l’on puisse ressentir, principalement quand on aime comme j’ai toujours fait. Je n’avois plus de repos ; je ne pouvois demeurer en place ; tout m’étoit insupportable, jusqu’à mon lit même. Une nuit, étant auprès de mon mari, je faisois mille tours et retours, et il me dit : « Qu’avez-vous ? Vous ne faites que remuer ; dormons, je vous prie. » — « Je ne puis dormir, lui répondis-je ; j’ai un trop grand mal de tête (j’avois raison de le dire, car c’étoit là où étoit ma folie), et vous seul le pouvez guérir. » Il me dit : « Expliquez-vous mieux ; je

    de Furetière. Faire grillades et capilotades, c’étoit improviser un repas avec des restes de viande.