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Mémoires

t’ai donné la vie ; tu me la rends aujourd’hui ; après Dieu, je ne la tiens que de toi. Tes ennemis m’avoient voulu persuader que tu souhaites ma mort ; mais je reconnois le contraire, et je t’aimerai plus que jamais. » Il me dit cela avec tant de tendresse, que je ne pus pas m’empêcher de verser quantité de larmes, en le suppliant très-humblement de vouloir oublier l’extravagance de mon mari ; que je lui promettois qu’il ne seroit jamais inquiété du côté de son bien, et que tout lui demeureroit en main jusqu’à sa mort ; qu’il nous fît seulement la grâce de nous souffrir ; ce qu’il m’accorda par sa bonté. Toute l’avocasserie nous revint joindre quand ils surent que mon mari étoit parti ; ces bonnes gens étoient plus défaits que si on leur avoit prononcé leur sentence de mort ; mon père leur dit ses sentiments ; et moi je les traitai de lâches et de poltrons, et leur dis : « Messieurs, nos affaires sont terminées, et mon père sera toujours le maître, comme il doit. Vous n’avez qu’à retourner à Paris, et l’on vous satisfera.» Comme j’avois fait un effort pour mettre mon mari hors de la salle, ainsi que j’ai déjà dit, je sentis de fort grandes douleurs dans le ventre ; et ce qui me les redoubloit encore, c’est que j’étois grosse. Cela m’obligea de monter promptement à cheval pour m’en aller chez nous me mettre au lit et envoyer quérir ma sage-femme. Aussitôt que je fus arrivée à la basse-cour, mon mari accourut au-devant de moi, le visage fort gai. Je lui dis : « Il n’y